ARCHÉOLOGIE
L’architecture de l’abbaye de Cherlieu nous apparaît aujourd’hui de façon plus que lacunaire. Au même titre que les recherches archivistiques et historiques, les recherches archéologiques sont nécessaires afin de comprendre les vestiges visibles sur le site. Étudier l’architecture de l’abbaye c’est étudier son histoire. Tout comme l’archéologie sédimentaire, l’archéologie du bâti (ou archéologie de la construction) permet la recherche d’indices renseignant sur le passé de l’abbaye. Les recherches historiques nous indiquent qu’un certain nombre de pillages et de destructions ont marqué l’architecture de Cherlieu. Ces déprédations ont contribué à l’arrachement de certains blocs lapidaires de leur position d’origine dans l’architecture de l’abbaye. Dans le cadre d’une étude universitaire sur le lapidaire sculpté de l’abbaye, un catalogue lapidaire a été réalisé afin d’inventorier plus de 150 blocs architecturaux. Ce premier inventaire du lapidaire de l’abbaye de Cherlieu est une base de données permettant l’étude des blocs. L’objectif étant notamment de pouvoir retrouver leur place topochronologique, autrement dit, de retrouver pour chaque élément lapidaire sa position dans l’espace et dans le temps. Pour se faire, des fiches d’enregistrement, composant le catalogue lapidaire, furent créées afin de préciser au mieux les caractéristiques de chaque bloc.
Figure 1 : Les différents profils des ogives de l’abbaye de Cherlieu. D’après les dessins de F. Joly, 1993 (au-dessus), et L. Gonçalves, 2020 (en dessous).
Bulletin Monumental, 82, pp. 95-116.
L’architecture de l’abbaye de Cherlieu nous apparaît aujourd’hui de façon plus que lacunaire. Au même titre que les recherches...
Une grande partie des blocs inventoriés sont des fragments dont il est difficile de retrouver la position dans les élévations de l’abbaye ou même parfois de proposer une période chronologique. Un peu plus de 41% du lapidaire inventorié correspond à des éléments de voûtes d’ogives. Parmi ces blocs, cinq profils d’ogives différents ont pu être enregistrés dans le catalogue (type 5 à 9). Il est possible d’ajouter à ces profils les quatre retrouvés lors des sondages de l’abbatiale par Frédéric Joly (type 1 à 4). Afin de comprendre si ces différents profils résultaient d’un choix artistique ou d’une évolution architecturale il était nécessaire de les dater ainsi que de retrouver leur position initiale dans l’abbaye. Selon Frédéric Joly les éléments d’ogives retrouvés lors des sondages de l’église abbatiale proviennent de cet édifice et peuvent être datés de la construction de celui-ci (fin XIIe-XIIIe siècle). L’étude stylistique des cinq types d’ogives inventoriés abouti à des datations différentes pour chaque profil. Le type 5 correspond à des ogives dont le profil est constitué d’un tore en amande entre deux doucines. Des ogives s’en rapprochant sont connues dans plusieurs édifices, dont des abbayes cisterciennes, comme pour Coyroux d’Obazine, et sont datées du XIIe-XIIIe siècle[1]. Le type 6 correspond lui à des ogives dont le profil est marqué par des arêtes franches et un tore de petit diamètre. Ces ogives peuvent être datées du XIVe-XVe siècle. Les ogives du type 7 peuvent être rapprochées d’ogives datées du XVe siècle, comme on en trouve dans des édifices religieux ou dans le château de Ham (Somme) pour ne mentionner qu’un seul exemple[2]. Les ogives du type 8 font partie du groupe des ogives toriques à filet saillant. Il est difficile de dater ces ogives puisque des exemples font leur apparition dès la fin du XIIe siècle et ce type d’ogives est encore employé au XVIe siècle[3]. Cependant, la découverte lors de cette étude d’une clé de voûte, dont le profil correspond au type 8, a permis d’en préciser la datation. Ce bloc pris dans les alluvions des caves de l’abbaye présente un écu dans lequel est inscrit la date de 1550. Enfin le dernier type d’ogives enregistré, le type 9, peut être daté, par comparaison avec des ogives de la salle basse du château d’Armentières, du XVIe siècle[4].
Figure 2 : Clé de voûte prise dans les alluvions dans les caves de l’abbaye de Cherlieu (photographie L. Gonçalves, 2020).
Afin de pouvoir replacer les différents éléments de voûtement inventoriés, un plan géoréférencé des vestiges de l’abbaye a été réalisé. Sur ce plan apparaissent les gerbes de voûtes encore en place sur le site. Ce plan permet de pouvoir mieux comprendre l’organisation du voûtement des galeries du cloître ainsi que du réfectoire de l’abbaye, situé le long de la galerie nord du cloître. Certaines informations manquent encore afin de préciser ce plan, toutefois les vestiges visibles ainsi que l’étude de l’abbatiale de Frédéric Joly et les travaux de Jacque Henriet permettent de retrouver une partie de l’emprise de l’édifice, même si la forme exacte du chevet ne nous est pas connue.
Figure 3 : Etat des lieux et proposition du plan de l’abbaye de Cherlieu (L. Gonçalves, 2020).
Figure 3 : Etat des lieux et proposition du plan de l’abbaye de Cherlieu (L. Gonçalves, 2020).
Les vestiges de la galerie nord du cloître ainsi que du réfectoire conservent le plus grand nombre de gerbes de voûtes encore en place. Une orthophotographie a pu être réalisée à l’aide d’une photogrammétrie du mur nord du cloître. L’orthophotographie a permis la réalisation d’un relevé pierre à pierre ainsi que la proposition d’un phasage de ce mur.
Figure 4 : Mur nord du cloître de l’abbaye de Cherlieu : relevé pierre à pierre avec phasage (au-dessus) et relevé pierre à pierre avec restitution des arcs formerets (en dessous), (L. Gonçalves, 2020).
L’étude archéologique de la construction de cette partie du cloître ainsi que de certains autres vestiges apporte de précieuses informations sur l’évolution architecturale du cloître et même de l’abbaye en général. La confrontation des données archéologiques avec l’étude stylistique des ogives inventoriées et les informations présentes dans les documents d’archives permet de proposer des hypothèses quant à l’histoire de la construction de l’abbaye de Cherlieu. Après sa construction entre le XIIe siècle et le XIIIe siècle, le cloître a connu de multiples réparations dont notamment quatre chantiers de reconstruction visibles par l’étude de son voûtement. Le premier vers 1392, le second entre 1542 et 1546, un troisième en 1550 et un dernier au court du XVIIIe siècle.
Textes et documents iconographiques de M. Lucas GONCALVES
[1] Barrière B., 1998. Moines en Limousin, l’aventure cistercienne. Limoges, Presses universitaires de Limoges, 207 p.
[2] Mersier A., 1914. Le château de Ham (Somme). Bulletin Monumental, 78, pp. 232-315.
[3] Lefèvre-Pontalis E., 1910. Etude sur les ogives toriques à filet saillant. Bulletin monumental, 73, pp.295-310.
[4] Trouvelot J., 1923. Le château d’Armentières (Aisne). Bulletin Monumental, 82, pp. 95-116.
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